Mythes
Bassin méditerranéen

Phaéton

level 4
Difficulté ****

Résumé: Phaéthon se vante auprès d’Epaphus, un camarade, d’être le fils de Phébus le dieu-soleil mais Épaphus ne le croit pas. Le jeune homme, vexé, va demander confirmation à sa mère Clymène, puis directement à Phébus. Dans son palais magnifique, Phébus reçoit Phaeton avec bienveillance, le reconnaît volontiers pour son fils, et lui propose de lui accorder une faveur.

Il y avait, bien loin d’ici, dans des temps très anciens, un garçon, encore un enfant, à peine un adolescent. Il était beau, intelligent, sans doute d’une certaine arrogance, d’une certaine jactance. Il s’appelait Phaéton, et chaque matin, lorsqu’il voyait le char du soleil se lever, commencer à parcourir le ciel, il disait :

— Regardez, les amis, c’est mon père qui conduit le char du soleil ! c’est lui qui éclaire le monde !

— Hé, du calme, qui est-ce qui t’as raconté cette blague ? Ta mère, sans doute, pour expliquer un père absent. Qu’est-ce qui te prouve que c’est ton père qui est un dieu ?

Phaéton, ulcéré, mortifié, est rentré chez lui. Il a demandé à sa mère :

— Tu me dis toujours que Phébus, le soleil, est mon père. Qu’est-ce qui me le prouve ? Tout le monde se moque de moi.

Sa mère lui a répondu :

— Vas trouver ton père, demande-lui, il te répondra.

Et Phaéton a mis le chemin sous ses pieds, il est parti en direction du soleil levant, il a grimpé par un sentier. Et au sommet de la montagne, dans une prairie, il a vu le palais du soleil, un palais comme il n’en avait jamais vu, étincelant de blancheur, monté sur des colonnes, avec un toit d’ivoire et d’or. Il est entré dans une grande salle, il a vu le jour, les mois, les années, les siècles et les heures qui étaient toutes gentilles, placées régulièrement dans la pièce. Il a vu le printemps couronné de fleurs, l’été qui portait des épis, l’automne barbouillé de raisins et l’hiver qui avait des cheveux blancs en désordre, et Phébus, assis sur un trône d’émeraude, dans un costume de pourpre. Le soleil, qui voit tout, a tout de suite reconnu Phaéton. Il a enlevé sa couronne aux rayons qui risquaient de l’aveugler, et lui a dit :

— Viens, mon fils, pourquoi fais-tu ce voyage ? Que viens-tu me demander ?

— Père, lui a dit Phaéton, je viens te demander une preuve. Ma mère m’a dit que tu étais mon père, mais tout le monde se moque de moi. Je voudrais un gage, une preuve…

— Tout ce que tu voudras : tu es mon fils bien-aimé, demande-moi ce que tu veux.

Et ça, il aurait pas dû. Faut jamais faire une promesse dangereuse. Il a juré sur le Styx, le serment divin sur le fleuve des enfers : une promesse irrévocable.

— Demande-moi ce que tu veux, je te l’accorderai.

— Voici ce que je veux, père : une journée durant, je veux conduire le char du soleil, je veux éclairer le monde.

Trop tard. Phébus ne pouvait plus revenir sur sa promesse. Et aussitôt, il a vu tous les dangers.

— Phaéton, tu es jeune, faible, tu es un mortel. Tu ne peux pas conduire ce char. Moi seul le peux, Aucun dieu n’a demandé à conduire ce char. Même Jupiter, roi des dieux, ne m’a jamais demandé une chose pareille. Il faut être fort pour conduire les chevaux sauvages il faut être fort pour tenir ce char de feu, ne me demande pas cela. Change, demande-moi tous mes trésors je te les accorde.

— Mais père, tu m’as promis…

— Mais rends-toi compte, c’est une épreuve périlleuse! Quand le char s’en va le matin, il grimpe une pente tellement raide, les chevaux sont fatigués, ils peinent. Et arrivé au sommet, il y a la descente périlleuse jusqu’au soir, à pic sur l’océan. Tes mains légères ne pourront jamais guider ces chevaux.

— Mais père tu as promis !

— Mais ce n’est pas facile !

La route n’est pas droite : si tu vas vers les pôles, tu vas faire fondre les glaces, si tu vas vers les sommets, tu vas bousculer les demeures des dieux. Et puis, méfie-toi des zodiaques, ce sont des animaux monstrueux : le scorpion avec son dard, le crabe avec ses pinces, le taureau, le lion, le sagittaire qui lance des flèches. Méfie-toi n’y va pas, je t’en prie !

— Père tu as promis !

Le temps passait. Déjà l’aurore était prête à ouvrir les barrières. Le ciel se colorait de rose, les étoiles s’éloignaient, s’effaçaient et le dernier croissant de lune disparaissait dans l’espace.

Phébus a pris son fils, l’a enduit d’un onguent divin qui pouvait le protéger du feu. Les heures ont amené le char d’or, d’émeraude, les roues, le timon…

Phébus a essayé encore une fois de convaincre Phaéton, mais Phaéton ne l’écoutait pas.

Léger, il a sauté dans le char, il a pris les rênes dans ses mains légères. Les chevaux, sentant qu’ils allaient s’élancer, grattaient du sabot, frappaient la barrière. Et quand la barrière s’est ouverte, ils se sont élancés dans le ciel.

Phaéton, tout heureux, tenait les rênes. Mais bientôt, les chevaux ont senti qu’une main légère inhabituelle les guidait. Alors ils se sont éloignés de la route, ils ont fait des écarts. Phaéton s’est demandé : où était la route ? Que devait-il faire ?

Les chevaux ont commencé à s’emballer, ils ont rasé les pôles, qui, pour la première fois, ont commencé à fondre. Le serpent, qui dormait sous les glaces, s’est réveillé. Ils sont partis de gauche et de droite, ils ont commencé à raser la terre, ils ont brûlé les forêts, brûlé des cités, asséché des rivières. Phaéton se trouvait entouré de flammes, de fumée.

La terre, devant ce désastre, a appelé Jupiter. La terre lui a dit : mais fais quelque chose, sinon toute la terre, tous ceux qui vivent dessus, les bêtes, les hommes, tout va être anéanti, on va retrouver le Chaos. Sauve l’univers, sauve ce qui peut être sauvé !

Jupiter a essayé de regrouper les nuages ou les pluies, mais il n’y en avait plus. Alors il a pris la foudre, il l’a lancée sur ce cocher malhabile, et Phaéton s’est enflammé, Phaéton est tombé comme une torche. Les chevaux, d’un soubresaut se sont dégagés, et sont se sont échappés dans l’espace. Le char, lui, est tombé en miettes. Et Phaéton, tourbillonnant, est tombé dans un fleuve qui l’a lavé, et qui l’a reçu.

Les sœurs et la mère de Phaéton l’ont cherché longtemps, longtemps. Quand elles l’ont trouvé, elles ont pleuré, tellement pleuré, tellement pleuré, des jours, des semaines, des mois, des années… Tellement longtemps, qu’un jour elles ont senti que leurs pieds étaient accrochés sur le sol, pris par des racines. Leurs bras se transformaient en branches. Et lorsqu’elles pleuraient en s’arrachant les cheveux, elles retiraient des feuilles. Leurs jambes se recouvraient d’écorce. De leurs torses, même de leurs visages, il ne restait que leurs bouches pour crier, pour pleurer, De leurs yeux qui pleuraient, des larmes sont tombées, qui se sont transformées en ambre. Et elles, elles se sont transformées en peupliers.

D’après Les Métamorphoses d’Ovide.
Transcription d’un enregistrement de Jacqueline Guillemin, conteuse, collaboratrice émérite à La Grande Oreille, et grande connaisseuse du répertoire des contes