Contes
Europe de l'Ouest

L’Oiseau vert

level 3
Difficulté ***

Résumé : Un roi se trouve dans l’obligation d’épouser en seconde noce une femme belle mais cruelle. Il met à l’abri les sept enfants de son premier mariage, six garçons et une fille, dans un chateau loin dans la forêt. 
La méchante reine finit par découvrir cette cachette et jette un sort aux six garçons qui sont alors transformés en cygnes. La fille quitte le château à la rechercher de ses frères.

L’Oiseau vert

Ou comment la fille de l’ogre aide le héros à réaliser les tâches difficiles imposées par son père et sauve le jeune homme grâce à ses pouvoirs magiques.

Il était une fois un jeune homme, fils de gens riches qui aimait à se promener au bois. Un jour qu’il s’y promenait, il vit un bel oiseau vert ; il se mit à sa poursuite, mais l’oiseau sautait de branche en branche, et il attira ainsi le jeune homme bien avant dans la forêt. Le jeune homme réussit pourtant à l’attraper vers le soir, et, comme il avait grand-faim, il s’assit sous un arbre pour manger quelques provisions qu’il avait emportées ; puis il se remit en route, et marcha une partie de la nuit sans savoir où il allait. Enfin il aperçut une lumière, et, se dirigeant de ce côté, il arriva vers deux heures du matin près d’une maison ; or cette maison était la demeure d’un ogre.
Le jeune homme frappa à la porte ; une belle jeune fille vint lui ouvrir.
—  Je suis bien fatigué, lui dit-il ; voulez-vous me recevoir ? 
La jeune fille répondit :
— Mon père est un ogre ; il va rentrer. Toute la nuit il est dehors, et il se repose pendant le jour.
— Peu m’importe, dit le jeune garçon, pourvu que je puisse dormir.
La jeune fille le laissa donc entrer.
Bientôt après, l’ogre revint.
— Je sens la chair de chrétien, dit-il en entrant.
— Mon père, c’est un jeune homme, un beau jeune homme, qui sait très bien travailler en tous métiers.
— C’est bien, dit l’ogre.
À huit heures du matin, l’ogre appela le jeune homme et lui dit :
— Tu vas me démêler tous ces écheveaux de fil ; si tu n’as pas fini pour midi, je te mangerai.
Le pauvre garçon se mit à l’ouvrage, mais le fil était si emmêlé qu’il n’en pouvait venir à bout. Il commençait à se désespérer, quand il vit la fille de l’ogre entrer dans la chambre.
— Eh bien ! dit-elle, que vous a commandé mon père ?
— Il m’a commandé de lui démêler son fil, et je ne puis y parvenir : quand je le démêle par un bout, il s’emmêle par l’autre.
La jeune fille donna un petit coup de baguette, et le fil se trouva démêlé. À midi, l’ogre arriva.
— As-tu fini ta besogne ?
— Oui.
— Demain il faudra me trier toutes ces plumes, et si tu n’as pas fini pour midi, je te mangerai.
Il y avait là des plumes d’oiseaux de toutes couleurs ; le jeune homme essaya de les trier, mais il n’y pouvait réussir. Un peu avant midi , la fille de l’ogre entra.
— Eh bien ! que vous a commandé mon père ?
— Il m’a commandé de trier ces plumes, et je n’en puis venir à bout : quand j’en ai trié une partie, elles s’envolent et vont se mêler aux autres.
La jeune fille donna un petit coup de baguette, et voilà toutes les plumes triées. L’ogre étant arrivé, demanda au jeune homme :
— As-tu fini ta besogne ?
— Oui.
— C’est bien.

Le lendemain, la fille de l’ogre vint encore trouver le jeune homme.
— Eh bien ! dit-elle, que vous a commandé mon père ?
— Il ne m’a rien commandé.
— Alors, c’est qu’il veut vous manger.
Et elle lui proposa de s’enfuir avec elle. Ils partirent donc ensemble.

Après qu’ils eurent couru quelque temps, la jeune fille dit au jeune homme :
— Regardez derrière vous si vous voyez mon père.
— Je vois là-bas un homme qui vient vite, vite comme le vent.
— C’est mon père.
Aussitôt elle se changea en poirier, et changea le jeune homme en femme, qui abattait les poires avec un bâton. Quand l’ogre arriva près du poirier, il dit à la femme :
— Vous n’avez pas vu passer un garçon et une fille ?
— Non, je n’ai vu personne.

L’ogre s’en retourna, et, quand il fut à la maison, il dit à sa femme :
— Je n’ai rien vu qu’un poirier et une femme qui abattait les poires avec un bâton.
— Eh bien ! répondit l’ogresse, le poirier c’était elle, et la femme c’était lui.
— J’y retourne,  dit l’ogre.
Cependant les deux jeunes gens s’étaient remis à courir.
— Regardez derrière vous si vous voyez mon père.
— Je vois là-bas un homme qui vient vite, vite comme le vent.
— C’est mon père. 
Aussitôt la jeune fille se changea en ermitage, et changea le jeune homme en ermite qui balayait les araignées dans la chapelle. L’ogre ne tarda pas à arriver.
— N’avez-vous pas vu passer un garçon et une fille ? dit-il à l’ermite.
— Non, je n’ai vu personne.
L’ogre, de retour chez lui, dit à sa femme :
— Je n’ai rien vu qu’un ermitage et un ermite qui balayait les araignées dans la chapelle.
— Eh bien ! dit l’ogresse, l’ermitage, c’était elle, et l’ermite, c’était lui.
— Cette fois, dit l’ogre,  je prendrai ce que je trouverai. 
Et il se remit en marche.
La jeune fille dit au jeune homme :
— Regardez derrière vous si vous voyez mon père.
— Je vois là-bas un homme qui vient vite, vite comme le vent.
— C’est mon père. 

Elle se changea en carpe, et changea le jeune homme en rivière. Lorsque l’ogre arriva, il voulut prendre la carpe, mais il fit le plongeon et se noya.
Le jeune homme emmena la jeune fille avec lui dans son pays et l’épousa.

Lithograph de Leopold Niemirowski, Puteshestvie po vostochnoi Sibiri I. Bulychova, 1856.
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Emmanuel Cosquin, Contes Populaires de Lorraine, 1886.

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