Contes
Europe de l'Ouest

Les Douze Princesses Dansantes

level 3
Difficulté ***
Thèmes : Famille Ruse

Résumé: Michel le petit vacher rêve d’épouser une princesse. Une belle dame lui apparaît en songe et lui conseille de se présenter au château de Beloeil où vivent douze princesses merveilleusement belles. On raconte qu’elles dorment toutes dans la même chambre. Mais, chose surprenante, bien qu’on les enfermait à double tour, chaque matin, on trouvait leurs souliers de satin usés !

Dans le temps, il y avait, au village de Montignies-sur-Roc, un petit fermier, sans père ni mère, qui s’appelait Michel. On l’appelait le Badelot, parce qu’en menant ses vaches dans la campagne, il marchait en rêvant. Il avait la peau blanche, les yeux bleus et les cheveux blonds tout crollés,   

— j’ai voulu dire tout bouclés,   

— les fillettes du village lui criaient souvent :   

— Hé ! Badelot, qu’est-ce que tu fais ? 

— Rien, répondait Michel, et il continuait son chemin sans les regarder. Il les trouvait laides car elles avaient des grosses mains rouges, des vestes de laine et des sabots. Michel avait entendu dire qu’il existait dans le monde des jeunes filles aux mains mignonnes, habillées de soie et de dentelles, qu’on nommait des princesses. Quand il était assis autour du feu avec ses compagnons, il rêvait au bonheur d’épouser une princesse.  

II  

Un jour au milieu du mois d’août, alors que le soleil brillait sur le coup de midi, Il avait mangé son morceau de pain sec, il s’endormit sous un chêne et rêva d’une belle dame en robe d’or. 

Cette dame lui dit :   

  • Va au château de Beloeil ; tu épouseras une princesse. Le soir, le petit fermier raconta son rêve aux gens de la ferme. Il pensa au conseil de la dame à la robe d’or. Les gens se moquèrent du Badelot. Le lendemain, à la même heure, il s’endormit de nouveau sous le même arbre ; la dame apparut et lui dit pour la seconde fois :   

— Va au château de Beloeil ; tu épouseras une princesse. Michel raconta encore son rêve, et on lui rit au nez encore une fois.  

 Peu importe ! fit-il, si la dame apparaît une troisième fois, je lui obéirai. Le jour suivant, personne ne fut surpris à Montignies- sur-Roc, quand vers deux heures, on entendu crier : Au galop ! au galop ! Les vaches et les veaux ! C’était le garçon qui ramenait son troupeau à l’étable. Le fermier était en colère, mais Michel répondit simplement :   

— Je pars ! Il fit son sac, dit adieu à tout le monde et partit directement. Du haut de la colline, les gens le regardèrent, et rirent en se tenant les côtes. Le Badelot marchait bravement dans la vallée de l’Honneau, son sac au bout d’un bâton. 

III  

Tout le monde savait qu’au château de Beloeil, vivait douze princesses très belles, très fières et si délicates, que si on avait mis un petit pois au fond de leur lit, elles l’auraient senti à travers.  

On racontait qu’elles avaient une vraie vie de princesse. Elles faisaient la grasse matinée et ne se levait qu’à midi. Elles avaient douze lits, tous dans la même chambre et, chose étonnante ! Même si on les enfermait à triples tours, chaque matin on trouvait leurs souliers usés. Quand on leur demandait ce qu’elles avaient fait pendant la nuit, elles répondaient qu’elles avaient dormi. On n’avait, en effet, entendu aucun bruit dans leur chambre, et on ne pouvait pas comprendre comment leurs souliers s’usaient tout seuls. Le duc de Beloeil avait annoncé que si quelqu’un découvrait comment ses filles salissaient leurs souliers, Il pourrait épouser l’une d’entre elles. Beaucoup de princes étaient venus tenter leur chance : ils avaient veillé derrière la porte des princesses, mais le lendemain matin on ne les avait plus revus, et personne ne sait ce qu’ils sont devenus.  

IV 

En arrivant au château, Michel alla droit chez le jardinier et lui offrit ses services. Celui-ci venait juste de renvoyer son assistant. Même si le Badelot ne lui parût pas bien costaud, il l’embaucha, pensant qu’il plairait aux princesses avec sa jolie frimousse et ses cheveux blonds et bouclés. Il le prévint tout d’abord qu’au petit matin il devait leur porter à chacune un bouquet. Michel estima que ce n’était pas ce qu’il aurait à faire de plus désagréable. Il se posta donc devant la porte des princesses avec ses douze bouquets dans une corbeille. Il en présenta un à chacune des sœurs, et elles le prirent fièrement, sans regarder le garçonnet ; mais Lina, la plus jeune, fixant sur lui ses grands yeux de velours, s’écria :  

— Oh ! qu’il est mignon, notre nouveau bouquetier ! Les autres partirent d’un éclat de rire et la sœur aînée lui rappela qu’une princesse ne devait pas abaisser ses regards sur un assistant jardinier. Michel savait ce qu’on racontait sur les prétendants. Mais les beaux yeux de la princesse Lina lui donnaient très envie de tenter sa chance quand même. Malheureusement, il n’osait pas, craignant qu’on se moque de lui et qu’on ne le mette à la porte.  

Cependant le Badelot eut un nouveau rêve. La dame à la robe d’or lui apparut tenant d’une main deux jeunes lauriers ; – un laurier-cerise et un laurier-rose ; – et de l’autre, une petite pioche en or, un petit seau d’or et un essuie-mains en soie. Elle lui dit :   

— Plante ces deux lauriers dans deux grands pots, plante-les avec la pioche, arrose-les avec le seau et essuie-les avec l’essuie-mains. Puis, quand ils auront atteint la taille d’une fillette de quinze ans, dis à chacun d’eux : « Mon beau laurier, avec la pioche en or je t’ai planté, avec le petit seau d’or je t’ai arrosé, avec l’essuie-mains en soie je t’ai essuyé. » Demande ensuite ce qu’il te plaira, les lauriers te le donneront. Michel remercia la dame à la robe d’or et, à son réveil, trouvant les deux lauriers, il exécuta point par point ce qu’elle lui avait recommandé. Les lauriers grandirent vite, et quand ils eurent atteint la taille d’une fillette de quinze ans, il dit au laurier-cerise :   

— Mon beau laurier-cerise, avec la pioche en or je t’ai planté, avec le petit seau d’or je t’ai arrosé, avec l’essuie-mains en soie je t’ai essuyé. Donne-moi un moyen de me rendre invisible. Aussitôt apparut sur le laurier une jolie fleur blanche. Michel la cueillit et l’attacha à sa veste.  

VI  

Le soir, quand les princesses montèrent se coucher, il les suivit à pieds nus pour faire moins de bruit, et se cacha sous un des douze lits. Les princesses se mirent aussitôt à ouvrir leurs armoires et leurs cartons ; elles en retirèrent des robes magnifiques, s’habillèrent devant leurs miroirs, et se tournèrent dans tous les sens pour admirer leurs tenues. De sa cachette Michel ne pouvait rien voir, mais il pouvait entendre, et il entendait les princesses rire et sauter de plaisir. Enfin, l’aînée dit :   

— Dépêchons-nous, mesdemoiselles, nos danseurs vont s’impatienter. Au bout d’une heure, quand le Badelot n’entendu plus aucun bruit, il risqua un œil et vit les douze sœurs superbement habillées, ayant aux pieds leurs souliers et aux mains les bouquets qu’il leur avait apportés.   

— Êtes-vous prêtes ? demanda l’aînée.   

— Oui, répondirent en chœur les onze autres, et elles se rangèrent en file derrière elle. L’aînée alors frappa trois fois dans ses mains et une trappe s’ouvrit. Toutes les princesses disparurent par un escalier secret, et Michel se dépêcha de les suivre. Comme il suivait de près la princesse Lina, il mit par accident le pied sur sa robe.   

— Il y a quelqu’un derrière moi, cria la princesse ; on retient ma robe.   

— Petite sotte ! répondit l’aînée ; tu as toujours peur ; c’est sûrement un clou qui a accroché ta robe.  

VII  

Elles descendirent, descendirent, descendirent et arrivèrent enfin dans un couloir au bout duquel était une porte fermée à clé. L’aînée l’ouvrit et on se trouva dans un ravissant petit bois dont les feuilles étaient pailletées de goutte d’argent qui brillaient sous une lune éclatante. On traversa ensuite un autre petit bois qui avait des feuilles tachetées d’or, puis un troisième où étincelaient des feuilles semées de diamants. Enfin le Badelot aperçut un grand lac et, au bord de ce lac, douze petits bateaux décorés où se tenaient douze princes qui, la rame à la main, attendaient les princesses. Chacune d’elles entra dans un bateau, et Michel se glissa dans celui de la plus jeune. Les barques filèrent rapidement, mais celle de Lina, plus chargée que les autres, resta en arrière.   

— Nous n’allons pas aussi vite que d’habitude, dit la princesse. Qu’est-ce qu’il y a donc ?   

— Je ne sais pas, répondit le prince. Je rame pourtant de toutes mes forces. De l’autre côté du lac, le petit jardinier vit un beau château illuminé, d’où sortait une joyeuse musique de violons, et de trompettes. Bientôt, on arriva sur la berge et la compagnie sauta hors des barques. Après les avoir attachées, les princes offrirent leur bras aux princesses et entrèrent dans le château.  

VIII  

Michel les suivit et entra derrière eux dans la salle du bal. Ce n’étaient que lustres, flambeaux, miroirs, rideaux, et corbeilles de fleurs. Le Badelot en resta tout ébloui. Il se tenait dans un coin, admirant la grâce et la beauté des princesses. Il y en avait des brunes, des blondes, des châtain-clair, des châtain-foncé et d’autres aux cheveux d’or. Jamais on ne vit sur la terre une si belle réunion de princesses ; mais celle qui paraissait au fermier la plus belle et la plus gentille, c’était la petite princesse brune aux yeux de velours. Avec quel élan elle dansait ! Penchée sur l’épaule de son cavalier, elle se laissait emporter comme dans un tourbillon. Ses joues rougissaient, ses yeux étincelaient, et l’on voyait que la danse était pour elle le plaisir le plus excitant. Le pauvre garçonnet enviait les beaux cavaliers au bras de qui elle dansait avec tant d’élégance : il ne se doutait pas comme sa jalousie était inutile. Ces beaux cavaliers étaient, en fait, les princes qui, avaient essayé de dérober le secret des princesses. Celles-ci leur avaient fait boire un philtre qui glaçait le cœur et ne les laissaient aimer que la danse.  

IX  

Ils dansèrent jusqu’au moment où les souliers des princesses furent troués. Quand le coq chanta pour la troisième fois, les violons s’arrêtèrent, et des serviteurs apportèrent un délicieux souper fait de pain d’épices, craquelins, gaufres, carrés de Lille et autres friandises qui forment, on le sait, l’ordinaire des princesses. Après le souper, les danseuses regagnèrent leurs bateaux, et le Badelot monta dans celui de l’aînée. On traversa de nouveau le bois aux feuilles pailletées de diamants, celui dont les feuilles étaient tachetées d’or et celui où elles étaient semées de gouttelettes d’argent. Comme preuve de ce qu’il avait vu, le jeune garçon cassa une petite branche à un arbre. Lina se retourna au bruit que fit la branchette.   

— Quel est ce bruit ? dit-elle.   

— Ce n’est rien, répondit la sœur aînée. C’est le cri de la chouette qui niche dans les tours du château. Michel prit alors les devants, remonta vivement l’escalier, arriva dans la chambre des princesses, ouvrit la fenêtre, descendit le long de la vigne qui tapissait le mur et, comme le ciel commençait à s’éclaircir, il se mit au travail.  

X  

Quand il fit les bouquets, Michel cacha la branchette aux feuilles tachetées d’argent dans celui qu’il présenta à la petite princesse. Lina, en la découvrant, fut fort étonnée. Elle ne dit rien à ses sœurs, mais lorsque, en se promenant à l’ombre du jardin, elle rencontra le jeune garçon, elle s’arrêta comme pour lui parler, puis elle continua brusquement son chemin. Le soir, les douze sœurs allèrent encore au bal ; le Badelot les suivit de nouveau et traversa le lac dans le bateau de Lina. Ce fut le prince qui, cette fois, se plaignit que le bateau lui semblait lourd.   

— C’est la chaleur, répondit la princesse. Il me semble aussi qu’il fait bien chaud. Durant tout le bal, elle chercha des yeux le petit jardinier, mais ne le trouva pas. En revenant, Michel cueillit une branche dans le bois aux feuilles pailletées d’or et, cette fois, ce fut l’aînée des princesses qui entendit le bruit que fit la branche en se cassant.   

— Ce n’est rien, lui dit Lina ; c’est le cri de la chouette qui niche sur les tours du château.  

XI  

À son lever, elle trouva la branche dans son bouquet. Quand les sœurs descendirent, elle resta un peu en arrière et demanda au petit fermier :   

— D’où vient cette branche d’arbre ?   

— Mademoiselle le sait bien, répondit Michel.   

— Ainsi, tu nous as suivies ?   

— Oui, princesse.  

— Comment as-tu fait ? Nous ne t’avons pas vu.   

— Je me suis caché, répondit simplement le Badelot. La princesse resta silencieuse un instant, puis tout à coup :   

— Tu as notre secret, dit-elle. Garde-le ; voici pour payer ta discrétion. Et elle jeta au garçonnet une bourse pleine d’or.   

— Je ne vends pas mon silence, répondit Michel ; et il s’éloigna sans ramasser la bourse. Durant trois nuits, Lina ne vit et n’entendit rien d’extraordinaire ; la quatrième, elle entendit du bruit dans le bois aux feuilles pailletées de diamants. À midi, il y avait une branche dans son bouquet. Elle prit à part le Badelot et lui dit d’une voix dure :   

— Tu sais quel prix mon père a promis de payer pour notre secret ?   

— Je le sais, princesse, répondit Michel.   

  • Alors vas-tu le lui donner ?   

— Ce n’est pas mon intention.   

— Tu as peur ?   

— Non, princesse.   

— Alors, d’où vient ta discrétion ? Michel ne répondit rien.  

XII  

Les sœurs de Lina l’avaient vue bavardant avec le petit jardinier, et elles se moquaient de leur cadette.   

— Qui empêche que tu ne l’épouses ? lui disait la sœur aînée ; tu seras jardinière, c’est un joli métier. Tu habiteras une chaumière au bout du parc, tu aideras ton mari à tirer de l’eau du puits et, à notre lever, c’est toi qui nous apporteras nos bouquets. La princesse Lina était furieuse. Quand le Badelot lui remettait son bouquet, elle le recevait de l’air le plus méchant. Michel le lui présentait respectueusement ; jamais il ne levait les yeux sur elle, mais presque toute la journée, elle le sentait à ses côtés sans le voir. Une après-midi, elle décida de se confier à sa sœur aînée.   

— Quoi ! fit celle-ci, ce comique a notre secret, et tu as attendu si longtemps à me prévenir! Je vais de ce pas nous en débarrasser.   

— De quelle façon ?   

— Eh bien ! en le faisant enfermer dans la tour aux oubliettes. C’est ainsi que dans le temps, les belles princesses se débarrassaient des gens trop curieux. Chose étonnante ! la sœur cadette n’aima pas du tout cette manière de fermer la bouche au garçonnet qui ne disait rien.  

XIII  

On se mit d’accord de demander leurs avis aux dix autres sœurs. Toutes partagèrent l’avis de l’aînée. La cadette alors déclara que, si on touchait un cheveu du petit jardinier, elle irait elle-même révéler à leur père le secret des souliers usés. Il fut décidé qu’on inviterait Michel à tenter l’épreuve, qu’on l’emmènerait au bal et qu’à la fin du souper on lui verserait le philtre qui devait l’enchanter comme les autres. On fit venir le Badelot et on lui demanda comment il s’y était pris pour percer le mystère ; mais il resta muet. Alors, d’un ton autoritaire, l’aînée des sœurs lui transmit leur décision. Il répondit simplement :   

— J’obéirai. Il venait d’assister invisible à la séance et avait tout entendu ; il était résolu à boire le philtre et à se sacrifier au bonheur pour celle qu’il aimait. Ne voulant pas donner une mauvaise impression au bal, il se rendit sur-le-champ auprès de ses lauriers et dit :   

  • Mon beau laurier-rose, avec la pioche en or je t’ai planté, avec le petit seau d’or je t’ai arrosé, avec l’essuie-mains en soie je t’ai essuyé. Habille-moi comme un prince. Une belle fleur rose apparut. Michel la cueillit et se trouva tout à coup vêtu de velours noir comme les yeux de la petite princesse, avec un chapeau, une broche en diamant et une fleur de laurier-rose à la boutonnière. Le soir, il se présenta habillé comme cela devant le duc de Beloeil et reçue la permission d’essayer de découvrir le secret de ses filles. Il avait si bonne mine qu’on le reconnaissait à peine.  

XIV  

Les douze princesses montèrent se coucher. Michel les suivit, attendit derrière la porte entr’ouverte et apparut au signal du départ. Il ne se cacha pas dans le bateau de Lina ; il donna le bras à l’aînée des sœurs, dansa tour à tour avec chacune d’elles, et le fit avec tellement d’agilité que tous en furent heureux. Le moment vint de danser avec la petite princesse : il le fit le mieux du monde, mais n’osa lui adresser la parole. Pendant qu’il la reconduisait à sa place, elle lui dit d’un ton moqueur :   

— Voilà tous vos vœux exhaussés : on vous traite comme un prince.   

— Ne craignez rien, répondit doucement le Badelot, vous ne serez pas jardinière. La petite princesse le regarda d’un air surpris, et il s’éloigna sans attendre la réponse. Lorsque les souliers de satin furent usés, les violons s’arrêtèrent et les serviteurs mirent la table. Michel fut placé à la droite de la sœur aînée, en face de la cadette. On lui servit les mets les plus délicieux, on lui versa les vins les plus exaltant ; pour mieux lui tourner la tête, on lui fit des compliments flatteurs. Il ne se laissa pas avoir par le vin et les compliments.   

XV  

Enfin, la sœur aînée fit un signe, et l’un des serviteurs apporta une grande coupe d’or.   

— Le château enchanté n’a plus de secrets pour vous, dit-elle au Badelot. Buvons à votre triomphe ! Il jeta un dernier regard sur la petite princesse et porta la coupe à ses lèvres, sans peur.   

— Ne bois pas ! s’écria tout à coup la princesse. J’aime mieux être jardinière. Et elle fondit en larmes. Michel jeta derrière lui le contenu de la coupe, franchit la table d’un bond et tomba aux pieds de Lina. Tous les princes tombèrent également aux genoux des princesses, qui choisirent chacune un époux et lui donnèrent la main pour le relever. Le charme était rompu. Les douze couples remontèrent dans les barques. Tous traversèrent ensuite les trois petits bois et, quand ils eurent franchi la porte du souterrain, ils entendirent un grand bruit, comme si le château enchanté s’écroulait. On se rendit droit à la chambre du duc de Beloeil, qui justement venait de s’éveiller. Michel tenait à la main la coupe d’or, et il révéla le secret des souliers usés.   

— Choisis donc, dit le duc, celle que tu préfères.   

— Mon choix est fait, répondit le petit jardinier, et il offrit la main à la petite princesse, qui rougit et baissa les yeux. Huit jours après, il l’épousa, et chacune des princesses épousa un des princes désenchantés.  

XVI  

La princesse Lina ne devint pas jardinière, et ce fut le Badelot qui, au contraire, devint prince ; mais avant la cérémonie, la fiancée exigea que son futur mari lui raconte comment il s’y était pris pour découvrir le mystère. Il lui montra les deux lauriers qui l’avaient aidé. En fille prudente et intelligente, elle jugea qu’ils donneraient à son époux un trop grand avantage sur sa femme. Elle les coupa et les jeta au feu.