Contes
Europe de l'Ouest

Le Vieux Sultan

level 2
Difficulté **
Thèmes : Animaux

Il était une fois un paysan qui avait un chien fidèle, appelé Sultan. Mais, le pauvre Sultan était devenu si vieux qu’il avait perdu toutes ses dents. Il lui était désormais impossible de mordre. Un jour, alors qu’ils étaient assis devant leur porte, le paysan dit à sa femme :

– Demain un coup de fusil me débarrassera de Sultan, car la pauvre bête n’est plus capable de m’aider.

La paysanne eut pitié du malheureux animal :

– Je trouve qu’après nous avoir été utile pendant tant d’années et s’être conduit toujours en bon chien fidèle, il a bien mérité pour ses vieux jours de trouver chez nous du repos et de la nourriture.

– Je ne te comprends pas, répondit le paysan, et tu penses bien mal : ne sais-tu donc pas qu’il n’a plus de dents dans la bouche, et qu’il a cessé de faire peur aux voleurs ? Il est temps de nous en débarrasser. Et même s’il nous a rendu de bons services, il a aussi toujours été bien nourri. Nous sommes quittes.

Le pauvre animal, qui se chauffait au soleil tout près de là, entendit cette conversation qui le touchait de si près, et vous devez vous en douter, cela l’a beaucoup effrayé. Le lendemain devait donc être son dernier jour ! Il avait un très bon ami, sa seigneurie le Loup, qu’il s’empressa d’aller voir dès la nuit suivante, pour raconter le triste avenir qui le menaçait.

– Écoute, mon ami, lui dit le loup, ne désespères pas; je te promets de te tirer des ennuis. J’ai une excellente idée. Demain matin, ton maître et sa femme iront retourner leur foin ; comme ils n’ont personne à la maison, ils emmèneront avec eux leur petit garçon. J’ai remarqué que chaque fois qu’ils vont au champ, ils déposent l’enfant à l’ombre derrière une haie. Voici ce que tu auras à faire. Tu te coucheras dans l’herbe auprès du petit, comme pour le surveiller. Quand ils seront occupés avec leur foin, je sortirai du bois et je viendrai à pas de loup voler l’enfant. Alors tu courras à toute vitesse après moi, comme pour m’arracher ma proie ; et, avant que tu aies couru trop longtemps pour ton vieil âge, je lâcherai mon butin, que tu rapporteras aux parents effrayés. Ils verront en toi le sauveur de leur enfant, et la gratitude les empêchera de te faire du mal. A partir de ce moment, au contraire, ils te récompenseront et tu ne manqueras plus de rien.
L’idée plu au chien, et tout se passa suivant le plan. Le pauvre père poussa des cris de peur quand le loup s’enfui avec son petit garçon dans la bouche ! Mais il poussa aussi des cris de joie quand le fidèle Sultan lui rapporta son enfant ! Il caressa son dos, il embrassa son front malade, et de toute sa reconnaissance, il s’écria :

– Malheur à qui tentera d’arracher le plus petit poil à mon bon Sultan ! Je décide que tant qu’il vivra, il trouvera chez moi le repos et la nourriture, qu’il a si courageusement gagné ! Puis, s’adressant à sa femme :

– Gretel, dit-il, cours vite à la maison, et prépare à ce fidèle animal une excellente pâtée sans croute, puisqu’il n’a plus de dents; enlève mon oreiller du lit ; car maintenant mon bon Sultan dormira là.

Avec un tel régime, comment s’étonner que Sultan soit devenu le plus vieux des chiens.
La morale de ce conte est que même un loup peut parfois donner un conseil utile. Je n’engage pourtant pas tous les chiens à aller demander au loup un conseil, surtout s’ils n’ont plus de dents.

Wilhelm et Jacob Grimm – remanié