Mythes
Bassin méditerranéen

Les premiers hommes

level 4
Difficulté ****

Résumé: Zeus décide de noyer la terre pour assouvir sa colère contre les hommes. Deucalion, et son épouse Pyrrha, échappent au déluge sur un radeau. Ils implorent les dieux de pardonner et de créer une autre race d’hommes. Une voix leur répond : « Jetez derrière votre dos les os de votre grande mère »

Le temps a passé, les millénaires… et dans les commencements du temps il y avait déjà des hommes sur la terre et Prométhée leur avait donné le feu. Mais quelqu’un a murmuré aux oreilles de Zeus que les hommes se conduisaient mal sur la terre, qu’ils faisaient des abominations, et le dieu Zeus n’a pas voulu les croire. Et puis un jour de doute, il s’est laissé choir sur la terre.

Il est arrivé un soir, en Arcadie, devenu un humain, un vieillard vagabond. Certains ont reconnu sa puissance divine, ils ont allumé des feux sur les autels, apporté des offrandes, récité des prières. Mais au palais du roi, Lycaon, lui, s’est dit que ce vieillard était un imposteur et qu’il lui arracherait son masque, qu’il lui servirait certain repas et qu’il le tuerait dans la nuit. Et le lendemain, le roi Lycaon a fait sortir d’une prison un jeune otage, l’a donné à préparer moitié rôti, moitié tripaille. Et le soir, le vagabond invité, on lui a servi ce repas cannibale : Zeus a eu un haut-le-cœur, il a renversé la table, il a lancé la foudre, et dans la nuit Lycaon est parti, hurlant à la lune, ses vêtements se couvrant de poils gris, ses dents devenant crocs, ses ongles griffes. Lycaon était devenu loup.

Zeus est remonté dans son palais de brume, il a réuni tous les dieux, leur a expliqué sa colère. Jurant sur le Styx, il a voulu la perte du genre humain. Il a d’ailleurs songé, dès le début, à lancer la foudre et à carboniser l’univers. Certains dieux ont déploré la perte du genre humain. Qu’allaient devenir les dieux sans les hommes, sans les mortels ? Et puis, les flammes iraient peut-être jusqu’au palais divin. Alors, il a préféré noyer la terre. Il a appelé un vent terrifiant, qui rassemble les brumes, les nuées et les brouillards, les mêle et les entrechoque. Et puis il a appelé en renfort Poséidon, son frère. Qu’il lance son trident, crée des crevasses, que les fleuves gonflent et s’engouffrent là-dedans et roulent jusqu’à la mer, que les fleuves et la mer recouvrent les maisons, les hommes et les moissons, les forêts. On put voir à cette époque le loup et les brebis glisser sur le fleuve, le lion et le tigre côte à côte, des dauphins dans les arbres. Les hommes se construisaient des radeaux, essayaient de grimper sur les sommets, mais même les oiseaux fatigués tombaient dans les vagues. Il n’y avait plus que le silence, l’océan, et tout ceux qui avaient vécu étaient morts.

Ce déluge a duré neuf jours et neuf nuits. Au bout de ce temps, Zeus s’est penché sur son balcon de nuages. Il a juste vu un petit coffre sur une barque en forme de croissant de lune. C’était Deucalion et Pyrrha, un homme et une femme, les deux seuls rescapés, qui depuis neuf jours et neuf nuits, étaient dans le noir, terrorisés, priant, sentant les vagues qui faisaient craquer leur bateau, prêt à s’engloutir. En les voyant, la colère de Zeus est tombée. Il a laissé le bateau se poser sur un sommet qui pointait là comme un chicot. Pyrrha et Deucalion sont restés là. Blottis l’un contre l’autre, ils attendaient le calme. Oh ! ils ont attendu longtemps. Et puis un jour, ils ont osé ouvrir une brèche. Ils ont vu l’océan à perte de vue, le calme, le silence… Ils ont remercié les dieux d’être en vie, ils ont pleuré d’être seuls. Ils ont remercié Prométhée, père de Deucalion qui leur avait donné l’idée de construire ce bateau. Ils auraient bien voulu, comme lui, être capables de prendre la boue, de façonner un homme et d’insuffler la vie. Mais ils étaient seuls, si seuls ! Ils ont attendu que le soleil perce les nuages. Un jour, ils ont osé sortir. Le sol était encore boueux. Ils sont descendus vers la plaine, vers le fleuve Siphyse. Les arbres étaient dépouillés, dénudés, gardant encore du lichen dans leurs branches. En descendant, ils ont vu un petit temple recouvert d’algues, aux marches noircies de mousse. Ils se sont agenouillés, ils ont demandé aux dieux de pardonner, de créer une autre race d’hommes. Alors une voix est sortie des nuages, une voix leur a dit :

— Éloignez-vous du temple, voilez votre tête, dénouez votre ceinture et courbez-vous. Ramassez les os de votre grand-mère et jetez-les derrière votre dos.

Là, Pyrrha inquiète, Pyrrha la pieuse s’est dit : « Mais quel sacrilège ! Nous ne pouvons pas déranger les os de nos ancêtres.»

Et Deucalion cherchait à expliquer le mystère de l’oracle.

Ils avaient des mères différentes, donc ce n’était pas de leur vraie mère qu’il était question, ni leur grand-mère. Et de leur terre ? Vous l’avez entendu, notre mère à tous, c’est la terre, la Terre-Mère. Ses os, c’étaient les pierres. Alors ils se sont courbés, ils ont ramassé des pierres et ils les ont lancées par-dessus leurs épaules, et, au fur et à mesure, derrière eux. Ils ne se retournaient pas. Les pierres se ramollissaient. La pierre devenait humide, devenait chair, elle était comme une ébauche de sculpteur. Une nouvelle vie, une nouvelle race prenait vie derrière eux. Ils commençaient à entendre des murmures, une parole : le silence se peuplait de paroles, de murmures. Des pierres lancées par Deucalion sont nés des hommes. Et des pierres lancées par Pyrrha sont nées des femmes. Une nouvelle race était née des pierres : c’étaient nos ancêtres, les vôtres et les miens.

D’après Les Métamorphoses d’Ovide.
Transcription d’un enregistrement de Jacqueline Guillemin, conteuse, collaboratrice émérite à La Grande Oreille, et grande connaisseuse du répertoire des contes