Contes
Asie

Le petit Chacal et le Chameau

level 3
Difficulté ***

Résumé: Le petit chacal voudrait traverser la rivière pour aller manger des coquillages. Le chameau accepte de le transporter de l’autre côté. Le chacal, une fois sa gourmandise satisfaite, n’a pas la patience d’attendre le chameau. Il fait du bruit et alerte les villageois qui s’en prennent au chameau. Celui-ci ne va pas laisser le chacal s’en tirer à si bon compte.

Toutes ces histoires à propos du petit Chacal vous montrent qu’il était très rusé ; malheureusement, il n’en profitait pas seulement pour se défendre ; il aimait à berner les gens. Seulement, vous saurez plus tard que, si rusé qu’on soit, on trouve toujours quelqu’un de plus rusé encore. Et c’est ce qui arriva au petit Chacal.

Vous vous souvenez qu’il aimait beaucoup les coquillages et les crabes. Quand il eut mangé tous ceux qui se trouvaient de son côté du fleuve, il pensa qu’il devait y en avoir beaucoup de l’autre côté. Mais le fleuve était trop large, et le courant trop fort pour qu’il pût traverser à la nage. Il y songea longtemps, et, un jour, il alla trouver son camarade le Chameau.
— Frère Chameau, dit-il, je connais un endroit ou il y a de fameuses cannes à sucre ; je te le montre si tu veux m’y porter.
— De bon cœur, dit le Chameau, qui aimait beaucoup les cannes à sucre. Où est-ce ?
— Oh ! de l’autre côté de la rivière, dit le petit Chacal ; mais, si je monte sur ton dos, nous y arriverons facilement.

Le Chameau ne demandait pas mieux. Le petit Chacal grimpa sur son dos, entre les deux bosses, et le Chameau traversa la rivière à la nage. Quand ils furent sur le bord, le petit Chacal sauta à terre, indiqua au Chameau le champ de cannes à sucre et courut vers la rivière pour chercher des crabes, pendant que le Chameau se régalait sans penser à rien.

Le petit Chacal fut rassasié avant que le Chameau eût seulement mâché trois cannes à sucre. Petit père Chacal n’avait pas la moindre envie d’attendre que son camarade eût fini et il se mit à courir tout autour du champ en glapissant et en faisant un grand bruit.

Les villageois l’entendirent tout de suite.
— Il y a un chacal dans le champ de cannes à sucre, dirent-ils. Il va faire des trous et abîmer toute la récolte, il faut le chasser. Ils arrivèrent en hâte avec des pierres et des bâtons, et ne virent point de chacal ; rien qu’un grand chameau qui croquait tranquillement les roseaux sucrés. Ils lui jetèrent des pierres, le frappèrent avec leurs bâtons, et le firent sortir à moitié assommé.

Quand les villageois furent partis, le petit Chacal arriva en dansant, et dit à son compagnon :
— Il faut s’en aller, maintenant.
— Bien, je te retiens, dit le Chameau ; en voilà un camarade ! Quelle idée t’a pris de glapir et de sauter comme cela ?
— Oh ! je ne sais pas, dit le Chacal. C’est une habitude que j’ai comme ça de chanter après dîner.
— Ah ? dit le Chameau. Très bien. Rentrons chez nous, maintenant.

Il laissa le Chacal grimper sur son dos et entra dans l’eau. Quand il fut à moitié chemin, au beau milieu de la rivière, il s’arrêta et dit :
— Chacal ?
— Quoi ? dit le petit Chacal.
— J’ai une drôle d’envie, reprit le Chameau. Je crois que je vais me rouler dans l’eau.
— Te rouler ? cria le Chacal. Ne fais pas ça, frère, tu vas me noyer ! Qu’est-ce qui te donne cette idée ? Pourquoi veux-tu te rouler ?
— Oh ! je ne sais pas, répondit le Chameau. C’est une habitude que j’ai comme ça de me rouler après dîner !

Il se roula donc, et le petit Chacal tomba dans l’eau et fut presque noyé ! Il eut toutes les peines du monde à gagner le bord.

Mais le Chameau revint tranquillement à la maison, et ne voulut plus jamais lui parler.

SARA CONE BRYANT, Comment raconter des histoires à nos enfants, Paris, Fernand Nathan, 1926