Contes
Europe de l'Ouest

Compère le loup et compère le renard

level 3
Difficulté ***
Thèmes : Animaux Ruse

Résumé: A chaque fois que le loup affamé écoute les conseils du renard pour faire un festin, cela tourne mal pour le loup. Il décide de se venger.

Un jour, compère le loup, dont l’estomac était dans le bas des talons, sortit de son bois pour explorer les alentours. Et, tout en rôdant, il s’était approché d’un village. C’était la nuit, tout y reposait en silence. Il y fait la rencontre de compère le renard qui sortait d’un poulailler. Il était fort occupé à dévorer une poule qu’il venait de dérober.

— Partageons, compère ! dit le loup.

L’autre leva aussitôt la tête.

— Bien volontiers, mais voyez si votre seigneurie peut vraiment se contenter de ce débris. Ne vaut-il pas mieux que vous ayez des poules entières ? Je vais vous indiquer où vous pourrez vous en procurer et en manger tout votre saoul. Demain c’est jour de marché, les marchands de volailles seront nombreux sur la route. Couchez-vous tout en long sur cette route et faites le mort ; les marchands ne manqueront pas de dire : « Tiens voilà un loup qui a été tué, il a une belle fourrure, emportons-le pour sa peau. » Alors ils vous ramasseront et vous jetteront dans une des charrettes qui sont remplies de volailles, vous vous en régalerez en quantité.

Le loup applaudit vivement à ce projet, et il partit en pensant au bon repas qu’il allait faire le lendemain. Et comme le renard le lui avait indiqué, il alla s’étendre au beau milieu de la route, feignant d’être mort. La première charrette qui vint à passer remarqua ce loup étendu, qui semblait être mort.

« Tiens, un loup, se disent les marchands, nous allons l’emporter pour sa peau. Mais s’il n’était donc pas tout à fait mort ? Auparavant, nous allons lui faire passer une roue sur le dos pour l’achever. » Et ils en firent comme ils l’avaient dit.

Le pauvre loup, qui ne s’attendait pas à cela, pousse aussitôt un hurlement, et comme en cet instant il pensait plutôt à sa peau qu’aux poules, il s’enfuit clopin-clopant vers sa tanière, poursuivi à coups de manche de fouets par les marchands ; il eut la chance cependant de leur échapper.

Compère le loup était furieux ; il voulut casser les reins à compère le renard pour le mauvais tour qu’il lui avait joué.

Compère le renard mangeait un poisson qu’il avait pêché.

— Maudit renard, s’écrie le loup furieux, tu as failli me faire écraser par les marchands de volailles ; mais tu me le paieras. Si tu ne me donnes pas à l’instant ton poisson, je t’étrangle.

— Minute, l’ami, dit le renard, vous irait-il de manger mon reste, tandis que la rivière foisonne de poissons en tout semblables et même plus gros ? Il ne s’agit que de vouloir en pêcher. Je vais vous indiquer la façon dont je les prends.

Et comme pendant tout ce temps-là il ne perdait pas une bouchée de son poisson, il l’avait entièrement dévoré.

— Venez, dit-il, avec moi au bord de l’eau, je vais vous enseigner à pêcher.

Le loup totalement apaisé par cette promesse alléchante suivit le malicieux renard jusqu’au bord de la rivière. Il gelait à pierre fente, l’eau était couverte d’une épaisse couche de glace. Alors, compère le renard, à l’aide d’une pierre dure, casse cette glace et y fait un trou.

— Tenez, dit-il au loup, tournez-vous ainsi, vous allez mettre votre queue dans ce trou. C’est ainsi que je prends du poisson. Vous y resterez aussi longtemps que possible. Plus vous resterez longtemps, plus il y aura de poissons de pris. Alors vous tirerez et vous sentirez une grande résistance, le poids sera en proportion de la quantité de poissons.

Cette instruction donnée, compère le renard partit en quête d’autre chose et compère le loup demeura fort paisiblement à attendre que le poisson ait mordu. Le froid de l’eau glacé le faisait souffrir, mais il endurait tout pensant que c’était le poisson qui le mordait ainsi. Enfin ni tenant plus il se hasarde à tirer. « Coquin ! se dit-il, y en a une rude provision, c’est fameusement lourd. » Mais c’était sa queue, qui s’était gelée avec l’eau de la rivière. Il fait un nouvel effort pour soulever cette charge, mais cette fois la queue y reste, et le pauvre loup hurlant de douleur se sauve sans queue ; bien résolu de se venger du renard qui avait ainsi abusé de sa crédulité.

— Gredin ! scélérat ! s’écrie-t-il en bondissant sur son adversaire.

Mais celui-ci de l’air le plus naturel du monde feint d’être surpris de sa colère.

— De quoi vous plaignez-vous ? dit-il. Votre queue, je n’y puis rien. Est-ce ma faute si vous êtes aussi gourmand ? En voulant prendre trop de poissons, votre queue est demeurée trop longtemps dans la rivière, elle s’y est gelée. Mais voyons, compère, le mal n’est pas irréparable, une queue ça se recolle, je connais tout près d’ici un maréchal-ferrant qui est expert dans ces sortes de choses là. Allons d’abord retirer votre queue de la glace et nous la ferons ressouder à ce maréchal.

Compère le loup était si vexé d’avoir perdu sa queue qu’il se prêta volontiers à tout ce qu’on attendait de lui, la queue fut d’abord retirée de la glace, ensuite on pria le maréchal de la lui ressouder. Compère le renard avait eu soin de donner un pourboire à tous les compagnons de la forge. Ils étaient une douzaine de vigoureux gaillards aux bras solides. Le patron mit d’abord le feu au derrière du loup tandis que l’apprenti tirait le soufflet pour alimenter la flamme. Le pauvre loup tout grillé endurait tous ses maux sans trop se plaindre pour récupérer sa queue perdue. Il n’était pas au bout de ses peines, le patron le mit ensuite sur l’enclume et les dix marteaux des compagnons s’abattirent sur son pauvre dos. Le renard qui était resté à la porte s’écrie alors « Soudez la queue, patron ! » Le pauvre loup affolé de douleur s’échappe de leurs mains en préférant ne plus avoir de queue, et s’enfuit dans la campagne hurlant comme un possédé.

Compère le renard l’avait devancé. Compère le loup, dès qu’il l’aperçut, se mit à sa poursuite bien résolu à l’étrangler d’un coup. Compère le renard sur le point d’être rejoint s’élance sur un arbre, il était temps, le loup arrivait au pied.

L’heure de la vengeance avait sonné. Compère le loup met sa patte dans sa gueule et fait entendre un long hurlement, signal auquel répondent tous les autres loups des alentours, et ils accourent tous pour venger leur frère. Alors tous d’un commun accord ils montent les uns sur les autres en s’appuyant de leurs pattes après l’arbre. Cette pyramide vivante, monte, monte, et va bientôt atteindre le sommet de l’arbre, cette fois, c’en est fait du pauvre renard.

Mais heureusement, il lui restait encore une ruse dans le sac. « Soudez la queue, patron ! » s’écrie-t-il. Le loup à la queue coupée était tout au bas et formait la base de cette pyramide. Il souffre encore horriblement de cet endroit il se croit toujours aux prises avec les maréchaux. L’instinct de la conservation l’emportant, il ne songe qu’à s’enfuir.

Aussitôt toute la pyramide, s’écroule, ceux du haut se firent bien mal en tombant, aussi tous étaient très furieux contre cet imbécile qui les dérangeait pour s’enfuir ensuite ainsi comme un peureux. On se met à sa poursuite et on le rejoint en moins d’un instant, il paya de sa vie ce moment irréfléchi de terreur. Les loups regagnèrent ensuite chacun leur tanière et compère le renard, qui du sommet de l’arbre avait assisté à toute cette scène, riait du bon tour qu’il venait de jouer au loup, heureux d’être débarrassé à tout jamais de cet incommode voisin.

Revue des traditions populaires – Tome XXII n°8-9, Société des traditions populaires, 1907

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